Le fabuleux Destin du Jardin Clemenceau …

 

XIème au XVIème siècle

 

Sur le terrain de l’actuel jardin Clemenceau, il y avait au XIème siècle une  église, un hôpital et un cimetière.

Les  trois étaient  désignés par le vocable  Saint-Barthélémy.

-          Le cimetière était celui de la paroisse Saint-Firmin, qui se trouvait en centre-ville. Les tombes les plus anciennes qu’on y a trouvées sont celles d’un certain Raynerio Galdi, habitant de Pise, mort en 1167, et de Placentin (le fondateur de notre école de Droit), mort en 1193. Ce cimetière existera jusqu’au 16ème siècle.

-          L’église Saint-Barthélémy était particulièrement vénérée. Le jour de Pâques, on y apportait, en une longue procession, les reliques de Saint-Cléophas (qui étaient conservées à Saint-Firmin). Elles restaient là jusqu’au lendemain et elles repartaient avec la même pompe solennelle. Comme l’église était trop petite, on construisit une chapelle auxiliaire appelée Notre-Dame du Charnier, qui fut consacrée en 1481 par l’évêque Jean Bonnal. Pendant les guerres de religion, église et chapelle furent saccagées.

-          L’hôpital (selon l’historien A. Germain) « ne paraît pas avoir joué un bien grand rôle dans notre histoire ».

 

XVII et  XVIIIème siècles

 

Le terrain est en piteux état… Les confréries qui s’étaient installées dans l’église Saint-Barthélémy et la chapelle auxiliaire durent trouver refuge ailleurs, après le saccage de ces édifices religieux. Elles allèrent d’abord dans l’église Sainte-Croix, puis à Saint-Paul, à l’intérieur des remparts.

Le cimetière, lui, a été en partie labouré et des sépultures ont été enlevées, comme le rapporte à ses collègues le chanoine Gariel après une promenade dans le quartier, le 3 mars 1653. Le chanoine est alors mandaté pour aller trouver la municipalité, et les Consuls promettent qu’ils feront relever le mur rapidement.

 

Le terrain va ensuite reprendre vie grâce à l’évêque Bosquet qui souhaite ardemment que les Carmes déchaussés – ou déchaux - s’installent à Montpellier. Il s’agit d’un ordre religieux mendiant, institué au 12ème s., et réformé au XVIème s. par Jean de la Croix, conseillé par Ste Thérèse d’Avila ; les carmes déchaux suivent une règle très austère et portent des sandales de cuir, d’où leur nom. 

L’évêque Bosquet fait venir un Carme déchaux, le Père Paul du Saint Sacrement, pour prêcher à la cathédrale le carême de1663. L’effet est foudroyant ! Le Conseil de Ville décide d’appeler à Montpellier les religieux de cet ordre qui acceptent avec empressement. On les loge provisoirement, dans la maison de Fourque, rue des Etuves, mais comme ils y sont à l'étroit, l'évêque décide de les établir sur l’emplacement du cimetière Saint Barthélémy. Un accord est signé entre les Consuls, le chapitre cathédral et les confrères de St-Claude : la Ville donne un nouveau cimetière, les Carmes s’installent sur une partie de l’ancien, laissant ainsi la possibilité d’inhumer les membres des familles qui avaient déjà des sépultures à cet endroit.

 

On construit un couvent et une nouvelle église, dédiée à St-Joseph. C’est le marquis de Castries, gouverneur de Montpellier, qui pose la première pierre le 30 novembre 1663. Voici ce qu’écrit un chroniqueur de Montpellier à ce propos: « De mémoire d’homme, on n’avait rien vu de pareil à Montpellier : plus de 6 000 personnes bordaient le chemin, de la ville au cimetière. Le Grand Vicaire, accompagné du Chapitre et d’une musique, bénit la première pierre. Et durant ce temps, tonnait le canon de la Citadelle … ».

C’est l’évêque Bosquet qui dit la première messe, dans la chapelle provisoire, le 24 août 1665. La grande église - aujourd’hui celle de la Providence -  n’est achevée qu’en 1707. L’Evèque Colbert, qui consacra l’Eglise en 1707, était le neveu du grand ministre de Louis XIV (les actuels propriétaires du château de Flaugergues sont d’ailleurs toujours comtes de Colbert).

 

L’église St-Joseph est de style classique, très pure dans ses lignes et considérée comme « la plus belle de toutes les maisons religieuses de la ville », selon l’historien d’Aigrefeuille en 1738. C’est l’église actuelle du Collège catholique de la Providence, jouxtant le jardin. Les Carmes avaient construit des Catacombes en utilisant la pierre des églises antérieures saccagées : l’escalier qui y mène est actuellement inaccessible.

Avant même l’achèvement de l’église, les Carmes s’étaient dotés d’un monastère et leur couvent connut alors un prodigieux développement. Ils étaient appréciés dans le faubourg, on se pressait à leurs offices. Toutefois leur coexistence avec la Confrérie de Saint-Claude, communauté de laïcs avec laquelle ils partageaient les lieux, était loin d’être pacifique. Après de nombreux litiges, un arrêt de la Cour de Montpellier du 9 avril 1745 ordonne que les

Confrères quittent le terrain. Ils s’installent alors rue des Etuves, dans le local du Jeu de Paume et prennent le nom de Pénitents bleus.

 

Comment se présentait l’enclos de l’avenue Clemenceau à cette époque ?

Il avait une superficie de 4.805 toises carrées (soit 16.773 m2). Quand on venait du faubourg de la Saunerie (avenue Clemenceau), on trouvait une cour bornée à droite par un mur de clôture la séparant d’une olivette (ou oliveraie). Puis, à gauche, la grande église St Joseph, qui renfermait huit chapelles. Ensuite, au fond de la cour, l’entrée du couvent, le cloître et un préau qui servait de cimetière aux religieux. Il y avait enfin deux cours et un petit bosquet. Une partie du terrain était cultivée – potager et verger. Les Carmes l’avaient même affermé à un jardinier. La porte d’entrée restait toujours ouverte, si bien que l’ancien cimetière demeurait livré à tout venant …

 

XVIII – XIXème  siècle

 

L’activité des Carmes doit s’interrompre avec  la Révolution, en 1789. L’enclos devient bien national, et l’église Saint-Joseph, qui passait alors pour une des plus remarquables de la ville, est transformée en magasin. Les catacombes, elles, furent rachetées par la famille de Bonald, qui voulait que soient respectées les cendres de ses ancêtres enterrés là.

Mais à partir de 1823, l’ancien couvent des Carmes connaît une nouvelle vie. Voici pourquoi et comment : pendant le Carême de 1821, l’église catholique avait prêché à  Montpellier une mission restée célèbre et dont témoigne aujourd’hui la grande croix dressée derrière les Halles Laissac. Cette mission avait soulevé un énorme enthousiasme en faveur des croyances traditionnelles, et l’évêque d’alors, Mgr Fournier, décide de restaurer l’œuvre de la Providence qui avait été fondée par les évêques Bosquet et Pradel au XVIIème siècle, dans la rue qui porte encore son nom. Sa réorganisation fut décidée le 20 avril 1821 lors d’une réunion des Dames chrétiennes qui rassemblaient des dames « des plus distinguées de Montpellier » avec, à leur tête, Mme la baronne de Boussairolles. Le but de cette œuvre était de recueillir, d’élever et d’instruire les jeunes filles pauvres (de 6 à 20 ans), les orphelines, et de les « préserver de l’impiété et du vice ».

Selon les désirs de Mgr Fournier, les Dames de l’association choisirent les sœurs de Saint–Charles de Lyon pour appliquer leur programme et gérer la maison. Ces religieuses, dont  la communauté avait été créée en 1676 et approuvée en 1680 par Louis XIV, avaient fait leurs preuves comme excellentes éducatrices de jeunes filles.

L’établissement de la Providence fut provisoirement installé dans un modeste immeuble au n°15 de la rue Rondelet. La duchesse d’Angoulème ayant accepté le patronage d’honneur de l’œuvre, ses armoiries furent placées à l’entrée, avec l’approbation du Roi et du Maire de Montpellier. Le 15 Octobre 1822, eut lieu l’inauguration : fête religieuse célébrée à l’église de Saint – Denis. Le personnel des maîtresses n’était composé que de trois sœurs, et il n’y avait que huit élèves orphelines.

Un an après, pour avoir des bâtiments plus vastes et une chapelle, l’œuvre fit l’acquisition de l’ancien couvent des Carmes déchaussés. Les Dames patronnesses couvrirent les frais d’achat et d’aménagement, par souscription d’actions à 500 francs. En 1856, l’œuvre s’annexe une maison voisine, et en 1863 achète un jardin attenant. En 1864, les Dames patronnesses cèdent toute la propriété (1ha 39ares 70 centiares) aux sœurs de Saint – Charles pour régulariser leur situation : en effet, une loi les obligeait à enseigner chez elles.

L’œuvre prospère. En 1827, il y a 60 orphelines, et 150 fillettes recevant gratuitement l’instruction primaire. Un pensionnat d’élèves payantes a été établi à côté des classes gratuites. Ainsi les familles  riches payaient pour leurs filles et pour les pauvres. Cette sorte de pension alimentaire fixée à 8 francs, passa à 5 francs en 1830, puis devint intermittente et  disparut.

Il y eut aussi une aide publique. Voici ce qu’on peut lire à ce sujet dans « Statistique du département de l’Hérault » de 1824 : « Le Conseil Général du Département et le Conseil Municipal de Montpellier, pénétrés de l’importance de cet établissement (la Providence) destiné à devenir départemental, puisqu’il entre dans les vues du Conseil d’Administration d’y admettre, lorsque les ressources pécuniaires le permettront, des enfants des divers arrondissements, ont accordé aux Dames des secours pour soutenir et encourager leur généreux dévouement. »

 

XXème siècle

 

La Providence continue son œuvre éducative dans la maison principale (l’ancien couvent des Carmes).

Un bâtiment annexe, sur le terrain, deviendra la première clinique chirurgicale mutualiste de France. En 1909, Charles Warnery, Président de l’ « Union des sociétés de secours mutuel du département de l’Hérault » et Nestor de Casamayor, secrétaire général, proposent  la création d’une clinique mutualiste. On loue à bail aux religieuses de la Providence un grand pavillon dans leur jardin, 22 avenue de Toulouse. Il est agrandi et aménagé. Le 23 octobre 1910, la clinique reçoit les premiers malades. Parmi le personnel, il y a un certain nombre de Religieuses.

Le financement vient de sources diverses : dons, legs, subventions, et  droit d’entrée des adhérents. La cotisation annuelle des Membres bienfaiteurs est fixée à 20 francs, mais certains font des dons de 1000 francs, ou plus …

 La clinique reçoit les adhésions des mutualistes de l’Hérault et des départements voisins. Les personnes hospitalisées sont des hommes, des femmes ou des enfants, sans distinction. Toutes les catégories socio-professionnelles sont représentées. La clinique rencontre un succès immédiat et croissant. Dès 1913, elle est déclarée « établissement d’utilité publique » par un décret signé par le président de la république, Raymond Poincaré, qui viendra solennellement  la visiter.

Pendant la guerre de 14-18, la clinique reçoit des civils et des militaires de plus en plus nombreux, et la progression continue : les 16 830 adhérents de 1910 sont passés à 127 000 en 1928 ! Dès 1924, les bâtiments sont agrandis. Paul Strauss, ministre du Travail, préside la cérémonie de la pose de la première pierre, mais il faudra construire une nouvelle clinique mutualiste pour satisfaire aux besoins. Ce sera la clinique Beau Soleil, qui ouvre ses portes avenue de Lodève, en avril 1931.                                                                                         

 

A quelle date la clinique mutualiste fut-elle définitivement fermée à Clemenceau? Nous n’avons pas pu le savoir ; pas plus d’ailleurs que la date d’ouverture du Commissariat Central de Police, qui occupa ensuite les locaux désaffectés, toujours grâce à la location faite par la Congrégation. Dans l’annuaire téléphonique de l’Hérault de 1938, le Commissariat de Montpellier est signalé au 1 rue Raoul !           

La première mention de la nouvelle adresse du Commissariat avenue de Toulouse (devenue par la suite avenue Georges Clemenceau, au 22 ter), se trouve dans le livre de Françoise Nicoladzé : « Passant, souviens-toi », rappelant de sinistres souvenirs. Il y avait là, en effet, quelques cellules où furent interrogés et torturés certains résistants, à partir d’octobre 1943, par des hommes de la tristement célèbre « brigade sanglante » dont le chef fut fusillé en juillet 1949, sur décision du tribunal de Toulouse.

 

Redevenu Commissariat national ordinaire, il rendit ses services jusqu’en 1994. A cette date, tout le personnel fut transféré avenue du Professeur Grasset, dans les locaux réaménagés de l’ancienne maternité. En effet, le Ministère de l’Intérieur voulant construire sur le site de Clemenceau un Commissariat moderne, acheta à la congrégation l’ensemble du terrain (acte de vente du 14 janvier 1991), expropria les quelques commerçants qui en occupaient une partie et fit raser le vieux bâtiment.

 

C’est à partir de mai 1995 que quelques riverains demandèrent qu’on crée là un Jardin Public . Cette demande devint plus insistante lorsque le Ministère de l’intérieur abandonna, en janvier 1996, le projet de reconstruction de l’Hôtel de police sur ce site et choisit un nouvel emplacement dans la rue du Comté de Melgueil.

L’association PAVE (Protection Atmosphère Verdure) a mené une action pendant  8 ans pour sauvegarder la totalité de cet espace et a obtenu la création d’un Jardin Public qui a ouvert ses portes en avril 2003 …

 

Sources (dans l’ordre où elles ont été utilisées) :

-          Marcel Barral : Les noms de rues de Montpellier : du Moyen âge à nos jours 

-          Grasset-Morel : « Montpellier, ses sixains, ses îles  et  ses rues, ses faubourgs », 1908.Réédition Lacour.1989.

-          Louise Guiraud : LA paroisse Saint-Denis de Montpellier. Ed. CALAS, 1987.

-          Chroniques de Montpellier

-          Le livre d’or de la Charité à  Montpellier, 1899,  pp 113 à 116 (photocopié et aimablement envoyé par le Frère Louis- Marie de Jésus, archiviste des Carmes de la Province d’Avignon-Aquitaine)

-          Statistique du département de l’Hérault, 1824

-          « 100 ans de Mutualismes dans l’Hérault », brochure de Languedoc Mutualité

-          articles (hélas non datés, ni signés) offerts aimablement par Mr Tony Ramos, de la clinique Beausoleil

-           Françoise Nicoladzé – Passant, souviens-toi ! Montpellier : lieux de mémoire 1940-45 ; livre écrit à l’initiative des « Amis de la Fondation pour la Mémoire de la déportation » (AFMD Hérault) et préfacé par Georges Charpak, prix Nobel de physique 1992.

 

Avec tous nos remerciements :

-          au Frère Louis-Marie de Jésus, archiviste des Carmes de la Province d’Avignon-Aquitaine, qui nous a fourni quelques précieuses indications et des photocopies de documents fort intéressants ;

-          au Directeur de l’école St-Charles pour les renseignements à propos de l’église et de ses catacombes.

 

 

Anne ROUSSEAU